Loi Macron Franchise Non-concurrence

Parmi diverses dispositions visant à ‘fluidifier’ la concurrence et le commerce, l’article L.340-2 du projet de la Loi MACRON prévoit l’interdiction pure et simple des clauses de non concurrence et autres dispositions qui limiteraient la possibilité de l’exploitant de poursuivre l’activité après la cessation du contrat de franchise.

Comme on pouvait s’y attendre un certain nombre d’enseignes et de fédérations dont celle de la Franchise, ont été mobilisées ces dernières semaines contre le projet, jugé assassin du système de la franchise.

On a pu lire dans les débats au Sénat que la clause ferait partie intégrante du modèle économique de la franchise…Sans elle, la franchise serait mise en danger, les enseignes y recourant gravement fragilisées, au point que la Loi les détournerait de pratiquer la formule, ce qui ferait le beurre des groupes succursalistes.

On signalera au passage tout de même que figurent parmi les succursalistes les plus puissants les franchiseurs qui comptent le plus grand nombre de franchisés sur notre territoire, preuve qu’on ne saurait scinder en deux familles opposées les enseignes qui recourent à une formule plutôt qu’à l’autre. La vraie distinction à opérer est plutôt celle entre les groupes de la grande distribution et les réseaux PME de commerçants pour qui la franchise est le seul moyen de se développer et donc d’exister faute de capacité de croissance interne suffisante.

Le projet de Loi fait très clairement échos aux avis de l’autorité de la concurrence et à ses vives critiques concernant les pratiques contractuelles en usage dans les réseaux de franchise de la grande distribution. La disposition interdisant les clauses de non concurrence visait donc très clairement ces enseignes dont les contrats de franchise sont dénoncés comme créant des contraintes insupportables, et ont pour but et effet de maintenir indéfiniment les exploitants franchisés dans les liens du contrat et du réseau.

Il aurait été utile de prévoir des seuils de chiffres d’affaires en deçà desquels l’interdiction posée par le projet de texte ne pourrait s’appliquer, ce qui permet d’écarter la plus part des réseaux de franchise pour ne viser que les grands groupes. Ce dispositif de seuils a bien été évoqué lors des débats devant le Sénat qui n’a pas finalement adopté le texte dans la rédaction proposée, les rédacteurs étant invités à revoir leur copie.

A suivre le raisonnement des détracteurs du projet Macron, on pourrait faussement déduire que le succès de la franchise ne tiendrait finalement qu’à la coercition : une clause infâme venant interdire un chef d’entreprise de poursuivre son activité et l’exploitation de son commerce, ceci au seul prétexte qu’il décide à l’échéance de changer d’enseigne, de fournisseur, de stratégie, ce qui relève bien des prérogatives naturelles du dirigeant d’entreprise, à défaut de quoi il n’en n’a que le titre.

Dire finalement que la franchise ne peut exister que grâce à la clause de non concurrence, c’est bien là dévaloriser les vertus de la formule sur le développement du commerce et des entreprises, son efficacité avérée à consacrer la transmission des savoir-faire et à diffuser les idées.

Il ne s’agit pas ici de prendre parti pour les franchiseurs, supposés être tous défendeurs des clauses de non concurrence (ce qui reste à démontrer), ni pour les franchisés, supposés vouloir tous les annuler (ce qui est certain).

De notre point de vue, ce qui étonne dans le projet de l’exécutif, c’est qu’il revient à priver les juges, notamment ceux du commerce concernés en 1ère ligne dans les litiges franchiseur/franchisé, de leur pouvoir d’appréciation sur la validité ou non des clauses de non concurrence figurant dans les contrats de la distribution.

Prévoir dans la Loi qu’elles sont nulles et non avenues, purement et simplement, fait disparaître tout débat sur la question, alors que des arbitrages légitimes peuvent utilement s’effectuer au cas par cas suivant l’opportunité de freiner ou non la libre concurrence inter enseignes. Le contentieux sur ce thème dans les contrats de la distribution devrait s’éteindre purement et simplement, ce qui n’est pas en soi une mauvaise chose, mais va nécessairement générer d’autres mécanismes de protection des franchiseurs pour lesquels les franchisés ne sont pas les mieux armés ni avertis, et sur lesquels le juges n’auront pas de pouvoir d’appréciation ni modérateur. Nous en reparlerons.

Est-il besoin ainsi d’en décider une fois pour toute ? Faut-il rappeler que les juges ont, depuis des décennies, établi un régime juridique particulièrement construit sur la validité des clauses de non concurrence, et qui vient limiter considérablement la portée de telle interdictions contraires au principe de la liberté du commerce et de l’industrie.

On sait qu’aux limitations classiques de validité des clauses de non concurrence (limite dans le temps et dans l’espace et contrôle de proportionnalité) s’est ajouté s’agissant des contrats de la distribution un régime plus restrictif encore :
– La clause ne peut dépasser dans tous les cas plus de 12 mois,
– La limite dans l’espace est circonscrite au seul local dans lequel le franchisé exerçait son activité,
– Enfin, la clause doit être légitimée par la valeur du savoir-faire transmis.

Sur ce dernier point, on rappellera que les clauses de non concurrence et les interdictions voisines (clause de non affiliation à un réseau concurrent) doivent être justifiées par l’intérêt légitime du franchiseur quant à la protection de ses droits de propriété industrielle et intellectuelle, ce qui place la consistance et la qualité du savoir-faire au cœur du débat.

Passé au crible de ces critères étroits, pour peu que les juges soient sollicités pour se livrer à cet examen et qu’ils s’y livrent, on ne peut que constater que bien peu de clauses qui figurent dans les contrats de la pratiquent sont au final efficaces et opposables.

Au regard des décisions les plus fréquentes rendues par les tribunaux de commerce, et les cours d’appel, ses interdictions faites au commerçants et exploitants d’entreprise passent mal et ne réussissent pas l’examen de validité, et c’est tant mieux.

Il n’en demeure pas moins vrai qu’elles peuvent se justifier en certaines circonstances, on citera notamment les cas de rupture anticipée du contrat par la faute du franchisé ou à son initiative unilatérale.

A ce propos, la clause de non concurrence, valable ou pas, a un indéniable effet dissuasif sur le contractant, sans lequel on peut penser que les ruptures anticipées de contrats seraient plus fréquentes. La clause assure une stabilité des réseaux.

Nathalie CASTAGNON
AVOCAT

(Article publié originellement dans les Echos Judiciaires Girondins Juin 2015)