Les nouveaux enjeux qui se posent dans les réseaux de franchise et de distribution exclusive par la libéralisation du droit en faveur de la promotion et de la vente en ligne.

Internet vient ébranler les certitudes juridiques et économiques sur lesquelles se sont fondés les réseaux de la distribution exclusive et le cadre habituel de leurs relations, qu’il repose sur le système de la franchise, celui de la concession ou sur tout autre type de formule voisine pratiquée

Les autorités de la concurrence, nationales et européennes, suivies par les positions prises par nos juridictions dont la Cour de cassation, viennent, années après années, avis après jugements, démonter les fondations de la distribution dite exclusive, confirmant la libéralisation donnée à ce mode de commercialisation.

Rappelons que les réseaux de distribution exclusive, quel que soit le type d’ingénierie contractuelle utilisée, trouvent leur dénominateur commun dans :

– la garantie concédée au distributeur, de jouir d’une exclusivité dans un périmètre géographique protégé,

– l’exploitation d’une marque à titre d’enseigne, signe de reconnaissance et de communication du distributeur pour se démarquer de la concurrence.

Il y a encore peu, les distributeurs été assurés d’avoir la garantie de ne pas être concurrencés dans leur territoire, et d’être seuls à y recueillir les retombées de l’attractivité de la marque. Ces avantages accordés trouvent généralement leur contrepartie dans le droit d’entrée et les redevances payées à la tête de réseau. Cette dernière disposait des moyens juridiques de faire respecter les droits qu’elle avait ainsi concédés contre rémunération, que ce soit sur le volet de la territorialité, que sur celui de l’usage de la marque réservé aux seuls exploitants contractuels autorisés.

Du fait d’Internet, et de l’évolution du droit positif depuis 2010 rien n’est moins sûr désormais ; le pire étant que le propre titulaire de la marque, promoteur du réseau et garant de son identité, ne peut lui-même aujourd’hui garantir aussi surement qu’hier la jouissance exclusive et donc paisible de la marque à son distributeur local, ni une véritable territorialité.

Internet est devenu dans bien des secteurs du commerce une modalité de vente résolument active – et non pas seulement passive selon nous – qui concurrence et parfois supplante la vente en magasins et agences physiques.

En ce sens, l’exclusivité territoriale concédée dans les contrats n’offre que protection et avantage très relatifs au distributeur.

Mais cela va désormais plus loin : on peut affirmer, en l’état de la jurisprudence et du courant libéral qui préside aux choix des autorités de la concurrence, que :

1°- Le distributeur peut avoir à subir la concurrence des ventes en lignes effectuées par la tête de réseau, ou l’un des autres distributeurs de ce réseau, sans que cela ne contrevienne au contrat signé avec exclusivité territoriale, sans recours contractuel possible donc (concurrence intra réseau)

2°- Les concurrents peuvent utiliser la marque-enseigne exploitée par le distributeur pour faire de la publicité et attirer la clientèle vers leurs points de vente, produits et services concurrents, cela de façon parfaitement licite, sans tomber sous le coup de la contrefaçon ou publicité mensongère.

La position des autorités et juridictions est qu’Internet est un instrument de concurrence favorable au consommateur, qu’il convient de promouvoir sans restrictions, contractuelles notamment.

On a vu, à l’occasion de l’affaire PIERRE FABRE (plusieurs décisions, dont Cour d’appel de, Paris Pôle 5, Arrêt du 31 janvier Pierre Fabre/ Autorité de la concurrence, DGCCRF) que s’agissant de la distribution sélective, l’interdiction aux distributeurs des ventes en ligne est considérée comme une pratique prohibée anti concurrentielle.

Concrètement cela revient à autoriser tous les distributeurs du réseau à créer leurs propres sites Internet, sans pouvoir y poser d’autres restrictions que celles tenant notamment au respect des normes imposées par la marque.

On peut imaginer que certains distributeurs verront là une opportunité pour rayonner au-delà des limites et du potentiel de leur secteur d’implantation, et pour vendre jusque dans les zones d’implantation d’autres distributeurs du réseau.

Dans les réseaux de franchise, la Cour de cassation a assuré le droit du fournisseur de concurrencer son propre réseau de franchisés par la vente en ligne des produits nonobstant la clause d’exclusivité territoriale donnée (affaire FLORA PARTNER, Cour de cassation du 14 mars 2006 ; plus récemment dans le même sens Affaire MOTOS DELTA BIKE Cour de cassation du 10 Septembre 2013)
C’est là le fruit d’un choix libéral pour Internet, qui s’abrite derrière une interprétation stricte des termes du contrat qui associe généralement l’exclusivité à un point de vente, les juges estimant qu’un site internet n’est pas assimilable à un point de vente. Certes, mais sur le plan de l’interprétation de la volonté des parties, il n’eut pas été déraisonnable de voir limiter le droit du fournisseur de concurrencer son propre réseau exclusif par le biais d’internet.

Si les distributeurs ne peuvent se voir interdire de créer des sites Internet, et que les têtes de réseaux peuvent à loisir concurrencer les ventes de leurs distributeurs par le biais d’Internet, cela promet une belle cacophonie sur la toile, et quelques contentieux dans les années à venir.

Cela augure surtout une course au référencement des sites internet intra-marque, et inter-marque dont il n’est pas certain qu’elle profite au consommateur finalement comme on voudrait nous en convaincre, n’en déplaise à la commission européenne.

Cela va par contre profiter au moteur de recherche GOOGLE, qui a lui aussi libéralisé sa politique pour l’achat de mots clefs en vue de générer des liens commerciaux, connue sous le terme ADWORDS.

En 2010, après avoir essuyé de sévères condamnations au titre de la contrefaçon, la société Google a décidé de s’exonérer de tout contrôle préalable à l’achat de mots clefs par ses clients annonceurs, mots clefs pouvant être constitués par des noms et des marques de concurrents

Dans le même temps la Cour de justice européenne a estimé que GOOGLE n’a qu’un rôle technique, et donc l’exonère en cas d’exploitation des marques d’autrui comme mots clefs ADWORDS (avis préjudiciel CJCE du 23 mars 2010)

Dans son avis, la CJCE va plus loin, considérant que l’achat comme mot clef de la marque d’un concurrent pour favoriser son référencement sur le moteur de recherche n’est pas illicite, l’internaute moyen doit discerner que l’annonce publicitaire ne vient pas du titulaire de la marque.

Une société peut donc utiliser la marque de son concurrent pour capter des internautes sur son site de publicité et de vente en ligne.

C’est bien dans ce courant libéral que semblent s’engouffrer les juges de la Cour de cassation pour qui il ne s’agit finalement que d’un fait de démarchage de la clientèle d’autrui, qui est licite s’il n’est pas accompagné d’un acte déloyal (affaire HOME CINE SOLUTIONS, arrêt du 29 janvier 2013) On peut se demander ce qui doit être jugé déloyal.

Ainsi, l’exploitation de la marque était croyait-on réservée aux titulaires et à leurs protégés, les distributeurs du réseau; il n’en va plus ainsi, et nul ne peut désormais assurer au titulaire, ni lui garantir à ses distributeurs, qu’ils seront seuls à pouvoir tirer les fruits de leur signe de reconnaissance.

Sachant que le bon référencement du site devient un enjeu majeur pour les enseignes, la libéralisation de l’usage de la marque d’autrui pour démarcher ses clients va imposer de revoir en profondeur les fondamentaux de la distribution en réseaux.

Ces évolutions doivent conduire les enseignes à développer un véritable savoir-faire concernant le web marketing, c’est à cette condition qu’elles maintiendront et développeront leurs réseaux de distributeurs, et bien entendu celui de leurs clients.

Article publié le 14 février 2014 in Les Echos Judiciaires
Auteur : Maître Nathalie CASTAGNON