La standardisation du contrat de franchise traduit elle une banalisation du système ? mieux compris et mieux diffusé, le système se répand avec toutefois les risques d’un contre emploi.
Dans notre esprit ce titre a un caractère volontairement provocateur.
Or, dans la pratique des réseaux de franchise, beaucoup associent la signature du contrat à l’accomplissement d’une formalité.
Le moins que l’on puisse dire ces dernières années est que le travail du juriste spécialisé dans ce domaine s’est considérablement simplifié lorsqu’il a pour tâche d’analyser les contrats qui lui sont soumis par la pratique, notamment par les franchisés et candidats à la franchise.
A quelques exceptions près, c’est toujours le même contrat qui atterri sur le bureau, à l’article, au mot, jusqu’à la virgule près.
Au point que viennent à l’esprit deux réflexions :
– Cela se pourrait-il que se soit le même auteur qui ait rédigé la plus grande partie des contrats ayant cours dans les réseaux de franchise ?…
– Ou alors c’est qu’il existe de la part des conseils rédacteurs de ce type d’accord un puissant phénomène de moutons de Panurge.
La réponse est sans doute à rechercher dans les deux explications : il y a bien un ou plusieurs rédacteurs d’acte à l’origine, et, depuis, inlassablement, la reprise de la même formule que l’on voit appliquer avec insouciance et sans vergogne, y compris peut être par les auteurs d’origine eux mêmes, à tous les cas de figure qui se présentent, quelque soit le concept et la nature des apports, quelque soit l’objet du contrat, des process les plus complexes reposant sur des techniques exigeantes à la fourniture en achat-revente de produits standards, de l’hôtel à l’amincissement, de l’immobilier au prêt à porter, en passant par la pizza…
Cette standardisation du contrat du franchise en pratique traduit en vérité un appauvrissement du service rendu par le rédacteur, réel ou usurpé, aux promoteurs de réseaux.
S’il n’est juriste, on accordera au prestataire, vendeur plus que rédacteur de contrat, l’excuse suivante : il n’a pas conscience lui même des risques qu’il fait courir à son client, croyant lui rendre un service qu’il juge lui même ‘accessoire’ à une mission globale d’organisation du réseau*. Pour lui, le contrat n’est bien qu’une pure formalité. « Si c’est bon pour le réseau X, c’est bon pour le réseau Y »…!
Or, à quoi sert une organisation, aussi réfléchie soit-elle, si elle repose sur des fondations inadaptées à l’édifice que l’on a projeté de bâtir ?
L’impression que donne la lecture de certains contrats est ainsi parfois juridiquement hilarante. Des réseaux se retrouvent parés d’un costume XXL, là ou le small aurait convenu.
L’hilarité n’est hélas plus de mise lorsque l’examen de la Loi des parties – puisque telle est la place du contrat – est soumise à l’épreuve du contentieux.
On réalise alors amèrement combien parfois le XXL devient encombrant et ses clauses se retournent comme autant de reproches d’inexécutions contre le promoteur de l’enseigne qui se croyait pourtant si bien paré.
D’autre fois, la lecture du contrat proposé par le promoteur de l’enseigne aux candidats exploitants, laisse une impression de gâchis.
Le concept est riche d’aspects novateurs et de savoir-faire, le contrat est au contraire commun, dépersonnalisé, identique en tous points à celui des réseaux concurrents. Il ne met pas en lumière la spécificité du fonctionnement, la valeur des apports du concepteur par rapport aux autres opérateurs du marché des produits ou services.
Le contrat standard traduit inévitablement une banalisation du process, il restitue une image d’absence totale d’originalité et donc, disons le, d’attrait du concept mis en œuvre.
Cela ne va pas sans incidences au plan de l’examen de la validité des engagements contractuels.
Quand il s’agit d’apprécier l’étendue réelle des droits que le concepteur peut revendiquer relativement à la protection du savoir-faire, le juge est lui aussi placé d’emblée dans un contexte psychologique d’appréciation circonspecte :
Puisque le concédant se satisfait et s’exprime par des clauses qui ont cours dans les contrats de nombre d’autres réseaux depuis nombre d’années, on serait tenté de mettre en doute l’originalité du process invoquée.
Or, la validité des clauses que les concédants jugent généralement les plus essentielles sont subordonnées à l’appréciation de la valeur du savoir-faire, appréciation bien souvent délicate et subjective, qui repose en premier examen sur le contenu du contrat lui-même (citons notamment les clauses d’approvisionnement exclusif et de non concurrence)
Le contrat de franchise est une construction juridique spécifique et évolutive.
Puisque tout ou presque a déjà été dit et écrit, il n’y a rien de choquant à ce que les praticiens s’inspirent d’un contrat existant, pourvu qu’ils aient la maîtrise de la science juridique et de ses prolongements judiciaires (ce qui suppose une appréhension du droit autrement que par une conception simpliste entre ce qui est permis et ce qui est autorisé)
La critique porte plutôt sur l’affligeant constat que la plus part des rédacteurs de contrats de franchise, y compris ceux qui s’improvisent comme tels, ne jugent pas utile semble t’il de réaliser le nécessaire recyclage, l’adaptation du contrat au concept, à l’objectif et à la stratégie poursuivis : tout ce qui fait la valeur du conseil et honore l’homme de l’art, tout ce qui le distingue du scribe ou du copiste.
Deux dérives à ce phénomène doivent être mentionnées.
Première dérive : le choix de la franchise comme formule de développement du concept est adaptée, mais le contrat n’est pas adapté dans son contenu.
Cette science de l’adaptation est autre chose que de remplacer par copier/coller les principaux identifiants du concept et des parties dans une mouture type.
La science du droit appliquée au contrat ne s’improvise pas. Elle requiert certes la connaissance et la mesure de toute la rigueur des normes, mais aussi et, surtout, l’art d’optimiser ces mêmes normes dans un espace de liberté, le contrat.
Le contrat de franchise doit être le reflet fidèle de ce qui est apporté par l’un et des exigences auxquelles doit satisfaire l’autre. Par ailleurs, il doit être conçu comme un contrat cadre, fait pour durer et résister aux évolutions du concept.
Or, la variété des situations en pratique, la différence de consistance des apports et des concepts, contraste avec l’uniformité des contrats qu’il nous ait donné d’examiner. Il est extraordinaire que peu d’entre eux laissent place à des variantes.
Si certains sont adaptés, une bonne partie s’avère totalement en inadéquation avec le concept et le rôle effectif que tient le promoteur ou que doivent tenir les exploitants.
La standardisation à laquelle on assiste, et qui est le fait tant de juristes que de non juristes, ne participe pas, loin de là, à une optimisation intelligente de la donne juridique. Elle fait du contrat un carcan qui peut être lourd de conséquences.
Deuxième dérive : plus grave, le choix de la franchise comme formule de contrat n’est pas adapté.
Il faut cesser de vouloir à tout prix placarder du contrat de franchise là où il n’y aurait que, à titre d’exemple, licence de marque avec assistance ou fourniture exclusive avec enseigne.
C’est le danger de voir ainsi se généraliser une formule si spécifique à des partenariats qui ne répondent pas ou seulement partiellement aux exigences du système.
En certains cas, une annulation du contrat aurait pu être évitée s’il n’avait été fait le choix de la franchise, alors qu’il n’est pas contesté qu’il y a eu concession de signes distinctifs et prestation de services. Un autre contrat, traduisant mieux cette réalité aurait pu résister sans difficulté à une demande en annulation.
On ne le répètera pas assez, la franchise suppose et impose une transmission de savoir-faire. Il s’agit ici d’autre chose que de prestations de services à l’exploitant (logistique d’approvisionnement, services de communication,…)
Un savoir-faire peut exister en amont (savoir fabriquer, savoir référencer, savoir acheter), mais il n’y a pas lieu d’instaurer un système de franchise dans le réseau si la distribution au client final ne nécessite pas la transmission de ces savoirs, seulement une mise à disposition du promoteur à l’exploitant. Cela peut s’appeler une vente avec assistance, une prestation de service, mais non une transmission de savoir-faire au sens de la réglementation.